[Interview] Diamil Faye, Jappo Sa : «Voir comment l’Afrique doit faire pour arrêter de copier les autres»

Une conférence en ligne dédiée au football africain, plus de 40 intervenants du monde entier, 8 sous-thèmes ! C’est ce que propose Jappo S.A de Diamil Faye, du 10 au 13 février prochain. Pour l’initiateur de l’événement, ce sera l’occasion de débattre sur les voies et moyens d’aider l’Afrique à atteindre une professionnalisation du football digne de ce nom et de se positionner en leader et gagner le respect du reste du monde.

Propos recueillis par B. Khalifa NDIAYE

  Quel est le principe de la conférence dénommée Africa Footgoal qu’organise en février Jappo S.A dont vous êtes le patron ?

  En fait, l’objectif poursuivi est double. D’abord, mettre en relation des acteurs du sport africain, dans une sorte de dialogue Sud-Sud afin de regarder ce que nous faisons dans notre zone. Ensuite, il faut rappeler que nous ne sommes pas leaders en matière de gestion administrative, financière ou technique. Il faut donc trouver un mix entre ce que nous faisons en Afrique et ce qui se fait à l’extérieur et voir ce dont on pourrait s’inspirer pour le développement du football africain et faire un pas en avant au bénéfice du football continental.

  Qu’est-ce qui justifie le choix du thème général «La professionnalisation, viatique de l’industrialisation du football en Afrique» ?

Il faut savoir qu’aujourd’hui, le football est compris comme un métier. La tendance actuelle, c’est d’en faire un métier. La mutation est déjà effective en Europe où l’on est passé de l’amateurisme au professionnalisme dur. L’Amérique latine et l’Asie ont suivi. En Afrique, l’Afrique du Sud, le Maghreb et même l’Afrique de l’Est ont suivi le mouvement. Il nous faut donc aller résolument vers la professionnalisation. Le football, ce n’est plus une activité qu’on mène juste pour le plaisir. Et au-delà des moyens, il faut un état d’esprit, un cadre institutionnel à mettre en place. Il faut aussi trouver un équilibre entre l’argent public et l’argent privé. Chez nous, il y a beaucoup de gens qui ont toujours évolué dans le football ; mais qui n’ont pas du tout avancé.

  Mais, le contexte international se prête-t-il à la tenue de cette conférence avec la Covid-19 et l’environnement économique général plutôt morose ?

On peut penser que non, mais moi je dis oui. Puisqu’on apprend toujours d’une situation. Voyez, par exemple la Nba ! Il y a quelques années, elle était en crise. Il a fallu l’implication d’hommes comme David Stern pour redonner confiance au milieu. Et aujourd’hui, on voit ce que représente la Nba. Certains clubs européens aussi ont eu à gérer des passages difficiles. Pour dire que les crises sont parfois nécessaires. Le fairplay financier, la Covid-19 ! Parfois, il faut savoir dire Stop. On ne peut pas continuer à avoir 2 ou 3 clubs tout en haut et 14 ou à 16 autres tout à fait en bas et vouloir développer le football. C’est certainement ce qu’ont compris des clubs comme le Barça, le Psg ou le Bayern avec leur idée de lancer une «Super ligue». Donc je peux dire que la Covid-19 nous a donné plus de temps pour réfléchir sur nos conditions à nous. Car, en Europe, ce n’est pas la même chose : les joueurs ont des salles de musculation chez eux, des nutritionnistes pour leur dire quoi manger, des possibilités de faire des séances d’entraînement via Zoom, font des tests tous les 2 ou 3 jours, etc. Nous, il ne faut plus qu’on organise juste pour organiser. Pourquoi ne pas s’arrêter pour mieux réfléchir sur les conditions de pratique du football en Afrique, avec les présidents de club, les joueurs, les techniciens et les administratifs ?

  Huit sous-thèmes ont été retenus pour être débattus. Pourquoi ceux-là et pas d’autres ?

C’est vrai qu’on avait pensé à des problématiques comme les matches truqués, parce qu’en Afrique, il y a des matches sur lesquels on parie, sans que l’argent généré n’entre dans les caisses des clubs concernés. Nous avons également pensé aux infrastructures, nécessaires à une bonne pratique du football ; à la sécurité. C’est dire si le choix a été difficile. Mais, nous avons retenu que la base de la gestion des affaires sportives et spécialement du football, c’est la gouvernance. S’il n’y a pas un bon environnement, c’est la porte ouverte à toutes sortes de crises. En Afrique, on rencontre beaucoup de problèmes avec les fédérations ; en tout cas qu’on ne rencontre ni en Europe ni en Asie. C’est parce qu’il se pose souvent un problème de textes.

  Alors nous avons retenu de parler de la professionnalisation. On entend souvent dire «La Fifa nous a demandé de professionnaliser» ; or la Fifa n’a jamais rien imposé à aucune fédération. Il faut savoir ce qu’on veut faire : du copier-coller de ce qui se fait en Europe ou y aller avec nos textes propres en fonction de nos réalités ? Chez nous, un joueur qui partage sa chambre avec 3 cousins, prend le transport en commun après les entraînements et arrive difficilement à manger à sa faim, ne remplit objectivement pas les conditions pour être professionnel. Nous allons aussi évoquer les transferts des joueurs autour desquels il y a une grande opacité. Souvent, les choses se font sans que la fédération, les techniciens, les joueurs et leurs familles comprennent tous les enjeux. Nous parlerons également de la reconversion des joueurs. Que faire pour que certains ne sombrent pas à la fin de leur carrière sportive et ne connaissent pas des fins tragiques ? Il sera question d’évoquer les systèmes, voies et moyens de leur permettre de se prendre en charge après leur carrière de joueur. La Caf et son avenir seront également un des points à aborder. Il y a tellement de problèmes au sein de cette instance.

  En un mot, il s’agit de voir comment l’Afrique devra faire pour arrêter de copier et de suivre les autres. Il faut qu’on soit des leaders, qu’on crée des choses et que les autres viennent s’inspirer de ce que nous faisons. Avec les jeunes générations et les «anciens», il faut faire un mix pour gagner le respect du reste du monde.

  Qu’est-ce qui a guidé le choix des panélistes et autres intervenants à cette rencontre ?

Il faut avouer que l’affaire était délicate. Nous avons beaucoup observé et avons décidé de choisir des «modèles» et de les mettre sur la sellette. Il y a, par exemple, un ou deux footballeurs, en activité ou à la retraite qui vont parler de leur expérience, de la performance, de la reconversion, de l’encadrement, etc. C’est très important. Par exemple, lorsque j’étais le président de Guédiawaye Fc, j’avais fait venir l’ancien gardien de but international Tony Sylva. Car, il avait joué au très haut niveau et connaissait les réalités des vestiaires d’un club professionnel contrairement à beaucoup d’autres.

  Concrètement, comment vont se dérouler les travaux ?

  Il me faut d’abord préciser que nous ne menons pas seuls, cette activité. En Afrique, il y a beaucoup de gens qui font du bon boulot dans l’ombre et qui méritent d’être mis en avant. Ce sera donc en partenariat avec l’institut Edge du Pr Abdoulaye Sakho qui en sera le bras scientifique. Une quinzaine de ses étudiants vont travailler avec nous en amont dans la préparation, et en aval pour le rapport final qui devrait être un document de référence. Donc l’évènement aura lieu du 10 au 13 février et se fera en ligne. Les sessions auront lieu tous les jours de 11h30 à 14h et de 15h30 à 17h. Ce sera sous forme d’échanges entre intervenants qui seront devant leur ordinateur. Après chaque journée, il y aura des échanges d’une demi-heure pour permettre aux médias nationaux et internationaux d’avoir de la matière ».

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Africa FootGoal, «une plateforme d’échanges et de réseautage»

  Après avoir tenu pendant 10 ans, de 2007 à 2016, la Convention internationale du sport en Afrique (Cisa), la structure Jappo Sports & Entertainment (Jse) du Sénégalais Diamil Faye avait cru bon d’observer une pause, de défricher de nouveaux axes et d’agiter des idées novatrices pour développer le football africain. La reprise des activités était annoncée pour 2019, mais la pandémie de la Covid est venue tout remettre en cause. Toujours partant pour combattre le «manque de plateforme de dialogue et d’échanges en Afrique pour les professionnels du sport», Jse a décidé de reprendre le collier.

«Parce que nous n’avons pas le monopole de la réflexion et des bonnes idées», Diamil Faye a retenu de ne plus attendre et d’organiser, du 10 au 13 février prochain, cette conférence en ligne Africa FootGoal qui se veut «une plateforme d’échanges et de réseautage pour contribuer au développement du football en Afrique».

  Autour du thème «La professionnalisation, viatique pour l’industrialisation du football en Afrique», une quarantaine de spécialistes du monde entier traiteront de 8 sous-thèmes : Prérequis pour l’organisation d’un événement football ; Le prix de la professionnalisation du football en Afrique ; La gouvernance du football, Le Football et les droits ; La reconversion des footballeurs : challenges et opportunités ; La Gestion de la performance en football ; Quel projet pour la Caf ? et Le marché des footballeurs : opportunités et menaces.

Source : B.K.N (Quotidien Le Soleil, Sénégal)